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J’accuse : La cérémonie des César à l’heure des réseaux sociaux

PROPOS SUR LES CÉSARS

28 février 2020, 21h. Je suis devant mon écran d’ordinateur et je suis avec attention ce qui s’apprête à être une cérémonie des César pour le moins mouvementée. Cette cérémonie avant même d’avoir commencé a beaucoup fait couler d’encre. La raison? Le film J’accuse, qui traite de la célèbre affaire Dreyfus, fait l’objet de 12 nominations. La particularité ce ce film? Il a été réalisé par Roman Polanski. 

Mais voilà… Roman Polanski, c’est tout de même un homme visé par 12 accusations de viol et attouchements sexuels dont la plupart sur des mineures. Célèbre réalisateur franco-polonais, considéré par Interpol comme fugitif depuis qu’il a fui la justice américaine après avoir été reconnu coupable de  viol sur Samantha Geimer, une jeune fille de 13 ans, Roman Polanski a toujours fait polémique, à juste titre. 

2 ans après le mouvement #MeToo, beaucoup ont appelé à boycotter J’accuse, le dernier film de Roman Polanski avec pour acteur principal Jean Dujardin. Le film est tout de même arrivé premier au box office français avec plus de 500.000 entrées la première semaine de sa sortie, et ce malgré la polémique. 

Film manifestement réussit, l’Académie des César avait décidé de tout miser sur lui en le nommant 12 fois dont une dans la catégorie du meilleur acteur (pour Jean Dujardin) et une autre dans celle du meilleur réalisateur. Autrement dit,  ce n’était pas des « petites » nominations. 

Cette décision de l’Académie a été très fortement contestée, notamment par plusieurs association féministes. Au delà du scandale Polanski, de nombreux célébrités du cinéma français tels que Omar Sy, Jean Pierre Bacry et Leila Bekti en ont profité pour dénoncer le système « élitiste et fermé » des César. 

Suite à cette pression médiatique dont le point d’orgue a été une lettre ouverte publiée dans Le Parisien par des collectifs féministes, la direction des César a annoncé sa démission collective, à seulement 15 jours de la cérémonie. 

Scandale, démission de l’académie… En clair, cette 45ème édition s’annonçait sous tension, et on l’a ressenti dès le début. Pendant 5 bonnes minutes, Florence Foresti, maitresse de cérémonie, pourtant d’un naturel drôle et sympathique, nous répète en boucle combien présenter cette édition était un vrai cadeau empoisonné. Elle s’attaque ensuite «  au problème de la soirée » sous entendu Roman Polanski, surnommé grotesquement « atchoum » ou « popol »  pour l’occasion, enchainant alors les allusions au réalisateur, même si cela donne plutôt l’impression d’assister au procès d’un violeur. Le ton est donné. Sandrine Kiberlain, présidente d’honneur, prend le relai, et déclare la 45e cérémonie des César ouverte. 

Jusque là, tout va bien. Les récompenses s’enchainent, les discours engagés, très engagés, aussi. Après 3h12 de cérémonie sans le moindre accroc.. c’est le drame : Le césar de la meilleur réalisation est attribué à Roman Polanski, pour J’accuse. Adèle Haenel, actrice principal dans le film « portrait de la jeune fille en feu » exclame sont dégout « c’est une honte » et quitte la salle. Cette intervention, juste avant la remise du césar du meilleur film par la présidente d’honneur, vient quasiment effacer le moment de gloire de Ladj Ly, réalisateur du film « les Misérables »  qui vient de recevoir le Saint Graal, amplement mérité. 

C’est alors en demi teinte que se termine cette 45e édition, et déjà les réseaux sociaux s’affolent. La photo d’Adèle Haenel se levant et quittant la salle fait rapidement le tour d’Instagram, Twitter et Facebook, souvent accompagnée en légende d’un « bravo ». Dénoncer : voilà à quoi servent les réseaux sociaux désormais. Dénoncer oui, mais qui et quoi? 

Dénoncer les actes de Roman Polanski peut sembler correct au vu des faits.. Mais la chose va pus loin : désormais, si quelqu’un a le malheur de dire qu’il apprécie les films de Polanski, ou que Jean Dujardin est excellent dans J’accuse, alors il est considéré comme complice, comme tolérant les actes de pédophilie. Les célébrités ayant défendu le film de Polanski se sont fait lyncher sur les réseaux : les personnes osant soutenir le réalisateur sont désormais la cible d’attaque foudroyantes. 

Le problème réside dans une question assez discutée depuis des années : peut-on séparer l’homme de l’oeuvre ? 

Je n’ai pas trouvé de réponse définitive à cette question. D’un côté, je repense à l’humoriste , Blanche Gardin qui disait une chose sur le ton de l’humour mais tout à fait pertinente : il n’y a que dans le monde du cinéma qu’on peut se permettre de séparer les deux; qu’on ne dirait pas d’un boulanger « oui il a violé deux trois grosses dans le fournil mais il fait une super baguette de pain ». 

De l’autre côté, je n’arrête pas de penser à tous ces « grands » hommes qui font partie de notre culture qui étaient les pires des enflures et dont on semble pour autant arriver à distinguer leur carrière de leur vie personnelle. Ainsi, des auteurs tels que Céline ou Anouilh sont encore lus et appréciés par de nombreuses personnes, sans qu’on appelle à les boycotter parce qu’ils étaient profondément antisémites.

Le film Les Misérables a été récompensé 4 fois pendant la cérémonie et tout le monde en était ravi. Pourtant, son réalisateur, Ladj Ly a été condamné il y a quelque temps à 3 ans d’emprisonnement  dont 1 avec sursis pour complicité d’enlèvement et de séquestration d’un homme. Quelqu’un a appelé à boycotter son oeuvre ? Quelqu’un s’est levé lorsqu’il a reçu le César du meilleur film parce qu’il a dans le passé mal agit? Non. Parce que son film est excellent et que tout le monde était d’accord pour le récompenser. 

Le problème est ici : si on ne doit pas différencier l’homme de son oeuvre, pour des raisons de bien commun, alors ceci doit être valable pour tous les types d’atteintes à la dignité humaine ou à la personne, pas seulement pour les hommes comme Polanski qui sont la cibles d’accusation de viols, et ce dans un souci d’égalité. 

Si #MeToo a évidemment fait plus de bien que de mal, en libérant la parole des femmes victimes d’agression sexuelles, (fléau qui reste aujourd’hui beaucoup trop important pour être ignoré et pris à la légère) le mouvement semble se transformer peu à peu en oppresseur de toute opinion divergente. Pire même, les cérémonies comme celle des César semblent se transformer en tribunaux ou tribunes de l’ONU, pour faire changer le monde avec des discours toujours moralisateurs et culpabilisant pour les personnes qui ont par exemple ici, osé apprécier le film J’accuse, dont le but premier était tout de même de traiter de l’antisémitisme dans l’affaire Dreyfus. 

Le geste symbolique d’Adèle Haenel de quitter la salle est fort et légitime. Adèle est une des pionnières du mouvement MeToo en France puisqu’elle a été l’une des première à prendre la parole sur le viol dont elle a été victime durant son adolescence . Le problème ici est la dérive des réseaux sociaux : entre dénoncer les actes répugnants de Polanski par le biais d’un repost de la photo d’Adèle, et aller fustiger collectivement tous ceux qui ont joué dans son dernier film ou simplement ceux qui ont eu le malheur d’ apporter leur soutien dans cette tempête par le biais d’un commentaire sous une photo de Jean Dujardin, il y a tout de même une différence.

 Le but finalement de cet article n’est pas tant de prendre position dans cette épineuse polémique, mais simplement de réfléchir sur notre comportement sur les réseaux sociaux : à l’heure d’internet, chacun doit pouvoir utiliser les réseaux sociaux raisonnablement, pourquoi pas pour prendre la parole, donner son avis sur un sujet d’actualité, tout en respectant un principe qui m’est cher : la liberté. 

Justine Gonzales pour Jeunesses de France, le 11 mars 2020.

https://www.20minutes.fr/arts-stars/cinema/2733043-20200305-cesar-2020-adele-haenel-precise-raisons-depart-ceremonie

https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/cesar-2020-pourquoi-la-ceremonie-s-annonce-electrique-7800172284

https://www.lemonde.fr/cinema/article/2020/02/29/cesars-celebrer-polanski-est-un-mauvais-signal-estime-de-nouveau-le-ministre-de-la-culture_6031350_3476.html

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